Vieilli, usé, fatigué, Keith Richards ? Que nenni : en choisissant pour interlocuteurs musicaux une poignée des fantômes, le guitariste des Stones s’offre un passeport pour l’éternité.
« J’ai le cœur qui louche… » – dès la chanson d’ouverture, Keith Richards revendique le strabisme sentimental dont son nouvel album témoigne de bout en bout. Ce sur quoi lorgne ce vieux cœur – 53 ans de rock’n’roll au compteur, une hygiène de vie à rendre apoplectique un nutritionniste – c’est, encore et toujours, une Amérique lointaine. Désormais incapable de communiquer sur le plan musical avec Mick Jagger – le Dorian Gray dont la forme physique a de quoi rendre verts de jalousie les gourous du fitness – le guitariste des Rolling Stones est à tu et à toi avec une poignée de fantômes. Arborant ses fidélités comme autant d’oriflammes, Crosseyed Heart, joue ainsi la carte (maîtresse) de l’autobiographie pour relater l’histoire d’un gamin de la banlieue londonienne qui, devenu aïeul, rêve toujours de descendre le Mississippi avec en guise de canoë l’étui de guitare de Robert Johnson, d’écumer l’Alabama dans la Cadillac d’Hank Williams et d’un jour composer le nouveau single de Chuck Berry – mission accomplie sur Blues In The Morning, florilège des figures inventées par l’homme dont le nom était pour John Lennon synonyme de rock’n’roll. Défilent ainsi riffs stoniens (période Exile On Main Street/Tattoo You), reggae, soul sudiste, complaintes country, histoires de trahison (Robbed Blind, où l’on devine qu’entre Keith, Mick et Anita Pallenberg, les comptes sont loin d’être apurés), bras d’honneur aux flics et duo chic (to cheek) avec Norah Jones, le tout mettant en valeur une voix de vielle pierre ayant, a force de rouler – dans le caniveau, parfois – fini par accumuler une émouvante collection de fêlures, failles et fissures. En mettant ainsi en avant le grain du chant, la tonalité élégiaque des textes et la morsure de la guitare – de toutes celles du rock, la plus instantanément reconnaissable – la production capture l’essence du mythe Richardsien : même si le sourire qu’il arbore sur la pochette de Crosseyed Heart témoigne avant tout des progrès de l’orthodontie, Keith a encore les crocs. Bruno Juffin
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Pour ceux qui ne savent absolument rien de Sleaford Mods, sachez que ce duo, composé de deux gueules cassées de Nottingham, Andrew Fearn (production) et Jason Williamson (chant), est responsable d’une petite dizaine de disques depuis 2007. Musicalement, imaginez la rencontre improbable entre les Streets et The Fall, quelque part entre spoken word, post punk et noise. Leur formule magique depuis leurs débuts ? une ligne de basse entêtante, un son sec, une boite à rythmes et le flow acerbe et nonchalant de Williamson. Key Markets ne déroge pas à la règle, et seule la rythmique assurée ici par un vrai batteur, apporte un réel changement. Les titres s’enchainent, et on se prend à remuer la tête, lentement (« Tarentula Deadly Cargo », « Silly Me ») ou sur un rythme plus rapide (« No One’s Bothered »). Alors véritable bouffée d’air frais dans une industrie musicale mollassonne Key Markets n’est peut-être pas l’album de la décennie, mais on n’est pas prêt de lâcher ! SP
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Il y a deux ans Holy Fire, laissait un goût amer. Un sentiment diffus que la formation d’Oxford se transformait doucement en un énième géant du rock un peu pataud. Mi-2015, l’annonce d’un quatrième album de Foals n’avait plus grand chose d’excitant. Puis un premier extrait (What Went Down), titre tendu et nerveux, nous laissa entrevoir le groupe sous un nouveau jour. Un second single, Mountain At My Gates , un hit 100% radio, parvenait à redonner un peu espoir. N’y allons pas par quatre chemins, si What Went Down est loin d’être la totale réussite annoncée, fort heureusement ce n’est pas non plus l’échec cuisant redouté. Et même si Le quintet british semble parfois s’auto-caricaturer ( Birch Tree ou Give It All ) il se montre capable d’explorer de nouveaux horizons Night Swimmers ). Oubliez l’époque Antidotes, le Math-Rock n’est plus au programme, Foals joue désormais de l’Indie Rock de Stade. Une nouvelle catégorie taillée pour eux. SP
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